Les aléas de mon stage à CPJ
Pas toujours évident de « protéger » les journalistes en danger…c'est parfois un peu décourageant…
Exemple: quand tu dois refaire un numéro de téléphone 15 fois, que finalement tu as quelqu'un au bout du fil, que la communication est super mauvaise, et lui il te hurle dans les tympans qu'il ne t'entends pas, te demande de parler plus fort, puis se lance dans une tirade effrénée de 20 minutes à laquelle tu ne comprends rien, et toi tu essayes de le recadrer à tes questions "oui d'accord, oui c'est pas normal... Mais quel est le titre de l'article?... oui mais non... TU VAS ME LE DONNER CE P%#*N DE TITRE!!!!
Ou alors, l'autre jour, j'appelle un journaliste au Sénégal, qui éclate de rire lorsque je lui annonce « Sarah Turbeaux, comité pour la protection des journalistes, j'aimerais vous poser quelques questions… » nan vraiment, je ne savais pas que j'étais si drôle, le type ne pouvais plus s'arrêter. Je lui ai d'ailleurs demandé « c'est moi qui vous fait rire ? » Pas terrible comme interview, finalement je lui ai envoyé un mail (vive Internet), il m'a répondu et avoué m'avoir prise pour une amie lui faisant une vanne….
Ou alors il m'arrive de me rendre compte que j'ai oublié de poser une question cruciale et devoir rappeler en espérant ne pas avoir à m'y reprendre 10 fois !
Pas toujours évident de passer sa journée à appeler à droite à gauche, obtenir des informations contradictoires, écouter la version des un, des autres, et finalement ne plus rien y comprendre.
Souvent je m'aperçois que les choses sont bien plus compliquées qu'elles n'y paraissent. Il arrive que certains journalistes soient aussi crapuleux que les politiciens ; dans certains pays la corruption est bien présente, et ne touche pas que les politiques. Ajouter à cela une bonne dose de méfiance envers les institutions, et saupoudrer le tout d'un conflit ethnique ou politique, mélanger bien, puis démerder-vous pour démêler tout ça !!
Bon il faut quand même avouer que mis à part quelques désagréments, c'est vraiment intéressant, je travaille sur des cas très différents, je mène des investigations, j'ai l'occasion de parler à des gens qui font leur boulot au péril de leur vie!! Difficile d'imaginer dans quelles conditions un journaliste du Nord Kivu au Congo peut travailler, alors que les affrontements entre l'armée et les rebelles font rage, et que la moindre critique ou le moindre désaveu du pouvoir peut conduire tout droit à la case prison…
Pas toujours évident, de me sentir impuissante face à se qui se passe à des milliers de kilomètres, sur un autre continent qui m'est presque totalement inconnu. Parfois, sceptique, je me dis « ok, c'est pas avec quelques coups de téléphone d'un bureau de Manhattan, et un article, si virulent soit-il, qu'on va instaurer la liberté d'expression en Afrique… » Mais en y réfléchissant un peu plus, peut être que finalement… les journalistes ont besoin de se savoir soutenus pour pouvoir continuer à travailler dans des conditions de fou, parfois ils ont juste besoin d'une oreille pour les écouter, ne pas se sentir isoler. Et je crois que la « communauté internationale », a un impact malgré tout. Prenons l'exemple de ce fameux Moussa Kaka qui remerciait les « confrères » qui de part le monde l'avaient soutenu et avaient contribué à sa libération. Dans ces moments là je me sens un peu utile, à ma petite échelle, et ça fait plaisir.
Je parle à des gens passionnants et très différents, et j'apprends beaucoup, sur l'Afrique (et je m'aperçois que je n'y connaissais pas grand-chose), sur le métier de journaliste, et surtout sur les risques du métier d'ailleurs ! On m'a même proposé un poste dans un cabinet de consultation au Cameroun, hihi. Nan c'est vraiment chouette, et gratifiant quand les choses se terminent bien et qu'on reçoit des remerciements pour notre soutien.
Donc en gros c'est ça les aléas de mon stage ! Je terminerai par cette citation que m'a envoyée Sheila, journaliste nigériane qui m'appelle « darling » :
"Our lives begin to end the day we keep silent on things that matter…" [MLK Jr]